Celui qui a appris cela sait ce que vivre signifie.
Une longue silhouette pas tout à fait d’aplomb, un regard franc, et une énergie à fleur de peau. Léna* a 25 ans, elle est chef de rang dans un restaurant, elle aime son équipe, son travail, ses amis. Et puis le 13 novembre 2015, elle est rafalée parmi tant d’autres à la terrasse d’un café. Dix balles de kalachnikov. Vingt heures d’opération : sa jambe est sauvée, mais la rééducation sera longue, incertaine. Elle la fera aux Invalides, au coeur de Paris ; un hôpital dont elle n’a jamais entendu parler. Ce jour-là dans la capitale, des centaines de civils sont atteints par des blessures de guerre, et c’est auprès de militaires que bon nombre d’entre eux lutteront pour s’en sortir.
Une infirmière explique : « Nous nous sommes vite rendu compte que victimes d’attentats et militaires blessés se comprenaient fort bien. Le dialogue s’établissait simplement, sobrement, sans effort. Ils ont en effet vécu la même chose : le bruit des balles, les morts autour, la douleur, le choc traumatique. Nous avons compris que le contact avec les militaires corroborait nos soins : un véritable dialogue s’est mis en place, alors que nous, même en étant proches d’eux, nous ne pouvions pas comprendre. »
Léna a quitté les Invalides au bout d’un an sur ses deux jambes, lestée d’un peu de métal et d’infiniment de reconnaissance. « La gratitude est le secret de la vie (…) Celui qui a appris cela sait ce que vivre signifie » a écrit Albert Schweitzer. N’attendons pas les blessures pour dire merci à ceux qui nous protègent.
* Son prénom a été changé
Un texte d’Anne Marie Gélinet, journaliste, auteur du livre « S’accrocher à une étoile ; ainsi va la vie aux Invalides », Le Cherche Midi (2020)