Un texte de Gabriel Zimmermann, poète
Jusqu’autour de la trentaine, je haïssais l’armée : à ce monde qui m’était inconnu, j’associais le défouloir de l’agressivité, la bêtise de l’obéissance, l’adoration creuse et irréfléchie pour un drapeau. Faisant revenir le refrain des chansons antimilitaristes, la vue d’un défilé, en plus de rendre railleur, désolait comme face à une peinture représentant une scène laide : ces cortèges en uniformes sobres, souliers cirés, regards froids, postures raides, paraissaient la promesse d’une violence à venir. De plus, comme des cailloux ricocheraient sur le fleuve tragique de l’humanité, ils rappelaient que les plus anciens mythes racontent des batailles et qu’aucun poète n’a entrepris une épopée de la paix.
Un soir d’été, lors des vacances, dehors, en discutant avec mon beau-frère, je me mis à tenir des propos similaires auxquels il répondit : « 𝐋𝐚 𝐧𝐮𝐢𝐭, 𝐩𝐞𝐧𝐝𝐚𝐧𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐭𝐮 𝐝𝐨𝐫𝐬, 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐨𝐥𝐝𝐚𝐭𝐬 𝐩𝐚𝐭𝐫𝐨𝐮𝐢𝐥𝐥𝐞𝐧𝐭 𝐥𝐞 𝐜𝐢𝐞𝐥 𝐝𝐞 𝐅𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐬’𝐚𝐬𝐬𝐮𝐫𝐞𝐫 𝐪𝐮𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐬𝐨𝐦𝐦𝐞𝐬 𝐞𝐧 𝐬𝐞́𝐜𝐮𝐫𝐢𝐭𝐞́. 𝐈𝐥𝐬 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐭𝐞̀𝐠𝐞𝐧𝐭, 𝐬𝐞 𝐬𝐚𝐜𝐫𝐢𝐟𝐢𝐞𝐫𝐚𝐢𝐞𝐧𝐭 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐞𝐭 𝐭𝐮 𝐥𝐞𝐬 𝐢𝐧𝐬𝐮𝐥𝐭𝐞𝐬. » Troublantes, ses phrases me confrontèrent au mépris dans lequel je m’étais complu, d’autant plus commode que les militaires sont fréquemment caricaturés. Comme la lecture d’un livre instruirait sur ses erreurs, j’entrevis mes préjugés, ma superficialité dédaigneuse qui peu à peu s’effrita. Sans devenir chauvin ni partisan des armes, une lucidité m’envahit, à la fois respectueuse, favorable, admirative pour ces femmes et ces hommes qui veillent sur nous dans une vigilance anonyme et vont jusqu’à donner leurs vies pour des gens dont, le plus souvent, ils ne savent pas le nom, le passé, même le visage.
𝐆𝐚𝐛𝐫𝐢𝐞𝐥 𝐙𝐢𝐦𝐦𝐞𝐫𝐦𝐚𝐧𝐧 est poète. Il est lauréat 2017 du prix Max Jacob mention spéciale Découverte et du prix biennal Maïse Ploquin-Caunan, décerné par l’Académie française. En 2020, son recueil Lapidaires a reçu le prix Méditerranée catégorie Poésie.