Quand j’étais enfant

par Constance de Bonnaventure, journaliste

   Quand j’étais enfant, j’idolâtrai mon grand-père. Résistant à 17 ans, il intègre ensuite l’armée, part combattre en Indochine puis en Algérie. Ses récits ponctuaient nos repas familiaux. Il avait l’art de la narration. Nous étions tous suspendus à ses souvenirs. Nous raffolions de son anecdote sur « les œufs aux plats cuits sur le pare-chocs brûlant de sa Jeep dans le Sahara algérien ». Pendant qu’il racontait, ma grand-mère servait le repas, silencieusement.

Pendant des années, je n’ai eu d’yeux que pour mon grand-père. Il a suscité en moi cette vocation de journaliste. Comme lui, je voulais m’approcher de la guerre.

Et puis, un jour, sans doute en grandissant, j’ai commencé à regarder ma grand-mère différemment. C’est elle qui tenait la maison. Avant cela, elle a attendu. Attendu que son fiancé rentre de la guerre pour se marier. Attendu la fin, souvent interminable, de ses séjours indochinois et algériens.
Elle l’a fait probablement par amour et par devoir. Je ne sais pas vraiment, je n’ai pas eu le temps de lui poser la question. Et je ne suis pas certaine qu’elle se la posait. Mais souvent, mon grand-père la remerciait.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Les tâches se partagent de plus en plus. Nombreux sont les hommes qui cuisinent, qui récupèrent les enfants à l’école, qui passent l’aspirateur. Alors, dans un foyer, quand un homme s’absente, les répercussions ne sont pas les mêmes qu’à l’époque de mes grands-parents.

     J’aimerais remercier ces hommes qui s’engagent aujourd’hui tout en sachant pertinemment ce qu’ils vont devoir imposer à leurs familles.
J’aimerais remercier tout autant ces femmes sans qui ces engagements ne verraient pas le jour.
Merci à toi qui ne sais pas si ton mari sera présent lors de ton accouchement.
Merci à toi qui rêvais d’une grande carrière d’avocate et qui finis par renoncer à force de déménagements.
Merci à toi qui te sens parfois dénigrée parce tu ne travailles pas.

Surtout, merci à vous toutes de nous donner ce si bel et si rare exemple qu’est le don de soi et le sens du sacrifice.



Constance de Bonnaventure, journaliste indépendante, chroniqueuse Culture pour le Jour du Seigneur, réalisatrice de documentaires pour Arte.

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